Nous avons fait de nombreuses rencontres durant nos trois premiers mois de voyage, mais nous n'avons croisé personne qui semblait trouver que c'était une excellente idée de passer deux mois en Chine. Cela aurait dû nous mettre la puce à l'oreille, mais nous persistions à croire qu'un si vaste et beau pays méritait qu'on y consacre un peu de temps. A première vue, il suffisait de bien se préparer et de respecter quelques règles d'or (qui se sont avérées en fait être des règles de survie): avoir un itinéraire bien précis, réserver des logements où le personnel parle quelques mots d'anglais, s'équiper d'un guide illustré chinois-anglais et TOUJOURS avoir sur nous les adresses complètes de nos destinations écrites en chinois. Aucun doute, nous étions prêts!
Nous avons décidé de commencer notre périple par Yangshuo, une ville située au bord de la rivière Li et entourée par d'imposantes formations karstiques montagneuses. La région attire de nombreux touristes, principalement chinois, qui viennent y pratiquer des "sports d'aventure", tels que le cyclisme, le kayak et surtout l'escalade.
Atteindre cette magnifique région a été notre premier grand challenge. Le moyen le plus direct pour y arriver, à part la voie aérienne, est de prendre un train depuis Hong Kong jusqu'à la ville frontière de Shenzhen, de passer l'immigration et de trouver un bus pouvant nous mener à Yangshuo en une douzaine d'heures. Il n'existe en fait qu'un seul bus, qui quitte Shenzhen vers 18h30 et nous dépose à destination au petit matin. Malheureusement, il est impossible de réserver les billets à l'avance (ce n'est pas faute d'avoir essayé). Nous avons donc quitté Hong Kong suffisamment tôt et avons atteint Shenzhen sans difficulté. Immédiatement après la douane, nous nous sommes perdus (nous avions lu sur les forums que cela risquait de nous arriver) et quelqu'un s'est précipité dans notre direction pour nous emmener vers son ami qui semblait vendre des billets de bus. Nous avons demandé le bus de nuit pour Yangshuo, mais notre interlocuteur nous fixait simplement avec des yeux écarquillés. Euh… Nous aimerions nous rendre à Yangshuo! Yangshuo??? YANGSHUO? Non? Pas de problème, nous avions demandé à ce que l'on nous inscrive "bus pour Yangshuo" en cantonais sur un petit papier. Nous l'avons montré à cette personne qui se dirige alors vers un énorme panneau plein de caractères chinois et nous en pointe deux du doigt. Cela semble correspondre à ce qu'il y a sur notre billet. Nous acquiesçons et notre interlocuteur tape alors 280 sur une machine à calculer. J'avais lu qu'un billet devait coûter 250 yuans au maximum et je décide donc de taper 230 sur la machine. Le bonhomme semble satisfait et nous voilà avec deux billets de bus sans être certains d'avoir compris ce qui venait de se passer…
Puisque nous avions encore suffisamment de temps devant nous, nous avons décidé de manger un morceau au KFC. Après avoir passé dix minutes à déchiffrer un menu en chinois, nous avons commandé quelque chose au hasard. Pendant que j'attendais notre repas surprise, Julien a décidé de se lancer à la recherche des toilettes. Il est revenu 30 minutes plus tard, tout démoralisé, après avoir fait quatre fois le tour de la gare sans succès. J'ai donc décidé de tenter ma chance à mon tour et de demander à quelqu'un de m'indiquer la direction. Encore une fois, je me suis retrouvée face à une personne qui me fixait intensément sans me répondre. Sans me démonter, j'ai cherché le mot toilettes en cantonais dans notre Lonely Planet et l'ai montré à mon interlocuteur qui en retour m'a donné une longue explication… en chinois! J'ai donc réalisé que c'était une chose de finalement réussir à se faire comprendre, mais encore fallait-il pouvoir déchiffrer la réponse…
Moralité: après moins d'une heure passée en Chine, nous avons compris que personne ne parlait un seul mot d'anglais, que rien n'était jamais indiqué et que les chinois semblaient penser que nous étions des aliens! Ce voyage promettait d'être intéressant…
Durant notre trajet de nuit jusqu'à Yangshuo (nous avions miraculeusement pris le bon bus!), nous avons fait la connaissance de Graham et Tamara, un couple d'anglais de notre âge qui avait prévu, à peu de choses près, le même itinéraire que nous en Chine et sur la même durée. Nous avons rencontré très peu d'occidentaux durant ce périple et c'était un bonheur de pouvoir les retrouver régulièrement et d'entreprendre quelques expéditions en leur compagnie!
Mais pour en revenir à Yangshuo, il s'agit du parfait exemple de la ville touristique préfabriquée à la chinoise! Cet endroit fut longtemps la Mecque des routards qui venaient s'y reposer entre deux métropoles dans un cadre enchanteur et authentique. Les "têtes pensantes" de Pékin avaient malheureusement d'autres plans pour cette ville, jadis comparée à Venise par les poètes… Elle se rapproche désormais plus d'une sorte de Disneyland où la jeunesse chinoise aisée vient fuir la réalité et dépenser de l'argent.
La modernisation des quartiers historiques et la construction de nouveaux secteurs en faux style ancien est le sort réservé à toutes les villes qui n'ont pas pu être protégées à temps par l'UNESCO. Bien qu'il ne reste plus grand chose d'authentique à Yangshuo, il n'est pas désagréable de se balader dans les petites ruelles de la vieille ville, flâner dans les marchés destinés aux touristes chinois, boire un verre sur une jolie terrasse et se laisser entraîner par l'animation incessante de cette ville métamorphosée.
Heureusement, il suffit d'enfourcher son vélo et de donner quelques coups de pédale pour découvrir des paysages extraordinaires. Malgré la brume et la pluie, notre première journée d'excursion a été très remplie. A peine sortis de la ville, nous avons eu l'impression d'entrer dans un compte de fée. Nous nous sommes vite retrouvés tout seuls au milieu des rizières et des pains de sucre qui s'étendaient à perte de vue.
A vrai dire, il ne nous aura fallu pas plus de 10 minutes pour nous retrouver complètement perdus avec juste une carte en chinois pour nous guider. Nous ignorions alors que ce sort allait nous être réservé durant tout notre périple dans l'empire du milieu. Après avoir traversé le charmant petit village de Jiao Xin et avoir demandé à plusieurs reprises notre chemin à l'aide de mimes, nous avons finalement atteint notre première destination: le Dragon Bridge. Ce pont vieux de 500 ans domine la rivière Yulong et constitue le point de départ de la descente de rivière en radeau. Cette attraction étant devenue un tel attrape-touriste pour les tours organisés de chinois, nous avons préféré fuir en continuant notre route dans la campagne.
Au terme de trois heures d'effort, nous nous sommes retrouvés à Shangri-La, un village construit selon les modèles tibétains, mais au beau milieu des pains de sucre. C'est une attraction typiquement destinée aux touristes chinois, mais nous avions vraiment besoin d'une pause et voulions participer au moins une fois à l'un de ces fameux tours organisés.
Nous n'avons pas été déçus! Tous les clichés ont bien été respectés: du tour guidé en bateau avec un micro au faux spectacle avec déguisements traditionnels en passant par les interminables photos de groupes et les poses (ridicules) à chaque occasion possible… L'endroit ne manquait pas de charme, mais il ne faut y chercher ni calme, ni authenticité.
Une fois cette visite instructive terminée, il était grand temps de prendre le chemin du retour. Nous avons malheureusement pris la mauvaise décision d'emprunter un petit sentier en terre et comme il avait plu les jours précédents, nous avons dû avancer dans la boue en portant notre vélo sur la moitié du trajet… Nous sommes arrivés éreintés à notre auberge juste avant la nuit et après une bonne douche chaude, nous avons retrouvé Olivier Balma (que nous avions rencontré en Birmanie) pour une sympathique soirée à Yangshuo. Il nous a prodigué de précieux conseils pour la suite de notre périple!
Nous avons eu la chance d'avoir un temps magnifique pour notre dernière journée à Yangshuo. Cela ne pouvait pas mieux tomber, car nous avions prévu une excursion en bateau sur la sublime rivière Li. Au cours de notre trajet en bus local pour l'embarcadère de Zhujiang, nous avons fait la rencontre de trois français en visite dans le coin pour quelques jours. Jean-Jacques vivait à Hong-Kong, Christine était en année d'échange à Shanghai et Jean-François était venu rendre visite à sa cousine et son frère depuis la France.
Le courant est tout de suite passé et nous avons décidé de faire cette croisière en radeau ensemble. C'était malheureusement sans compter la mafia locale et la pugnacité des chinois! Il faut se rendre à l'évidence, il est impossible de gagner un chinois à l'usure ou de le faire changer d'avis. Ils sont têtus et ils peuvent attendre la journée pour obtenir ce qu'ils veulent. Ce constat se vérifiera encore à de nombreuses occasions. Après 90 minutes de négociations infructueuses, nous avons donc jeté les armes et accepté de payer pour deux radeaux au lieu d'un seul (à un meilleur prix tout de même), mais ce qui nous attendait valait largement chaque yuan dépensé! En effet, la descente de la rivière Li jusqu'à Xingping est l'un des plus beaux spectacles auquel nous avons assisté en Asie! Jugez-en par vous-même… Pour la petite histoire, le paysage des billets de 20 yuans peut être admiré ici.
Une fois la croisière terminée, des étoiles encore plein les yeux, nous nous sommes hâtés de rentrer à Yangshuo pour encore vite aller grimper Moonhill, une colline surmontée d'une arche naturelle. Le point de vue au soleil couchant depuis le sommet valait bien les 30 minutes d'effort.
Après avoir juste réussi à attraper le dernier bus de retour, nous avons retrouvé nos rencontres de la journée le temps d'un bon souper et nous nous sommes quittés avec des promesses de retrouvailles. Nous avons d'ailleurs effectivement revu Christine à Shanghai deux mois plus tard!
Le lendemain, nous avons pris un bus en compagnie de nos amis anglais pour nous rendre aux magnifiques rizières en terrasses de Longji. Malgré un départ un peu difficile dans l'Empire du Milieu, nous ne regrettions pas de nous être lancés à la découverte de ce beau pays et nous nous réjouissions des aventures à venir.